Essai d’un navire sous-marin sous le Premier Empire.

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jacknap1948
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Essai d’un navire sous-marin sous le Premier Empire.

Message par jacknap1948 » Mar Fév 23, 2021 9:41 am

Bonjour à Toutes et à Tous.
J'ai trouvé ce document sur le Forum "Trois ponts" posté le 22 février 2021 par Nicolas M.

Essai d’un navire sous-marin sous le Premier Empire.
22 février 2021 par Nicolas M.

Extrait du Moniteur universel, numéro du lundi 29 avril 1811 citant un rapport écrit par Lazare Carnot à l’Académie des sciences le 1er avril de la même année :

« Rapport sur le Nautile-marin de MM. Coëssin frères.

Le désir de séjourner à volonté sous les eaux n’est pas une chose plus nouvelle que celui de planer dans les airs.
Les efforts qu’on a faits pour y parvenir sont de tous les temps ; mais ce n’est que de nos jours qu’on a obtenu enfin quelque succès dans l’une et l’autre de ces deux espèces de navigations.
Quoique le problème de la navigation sous-marine paraisse présenter moins de difficultés que celui de la navigation aérienne, c’est cependant celui-ci qui a été résolu le premier ; car il y a déjà vingt-huit ans que feu notre confrère M. Montgolfier conçut, et que s’exécuta au grand étonnement de l’Europe le hardi projet de s’élever au-dessus des nuages ; mais si les anciens sont parvenus à quelques résultats intéressants dans l’art de naviguer sous les eaux, il ne paraît pas qu’on leur ait donné aucune suite, et l’on peut regarder cette découverte comme très récente.

Cependant si la destination des aérostats est plus brillante, si elle frappe d’une plus grande surprise, celle des vaisseaux sous-marins fait, peut-être, concevoir l’espérance d’une utilité plus réelle.
La découverte de ceux-ci ne consiste pas comme celle des premiers, dans un trait de lumière qu’on est étonné de n’avoir pas saisi plutôt, tel que celui de s’élever par la différence des pesanteurs spécifiques de deux substances aériformes.
Le mérite de l’invention des vaisseaux sous-marins s’annonce plus modestement, et semble consister dans une série de petites difficultés vaincues ; mais il faut beaucoup de prévoyance, pour que rien n’échappe dans un si grand nombre de détails, lorsque l’oubli d’un seul suffit pour faire tout échouer ; il faut de l’habileté pour mettre dans ces détails l’ensemble qu’ils exigent.

Enfin, une chose qui nous parait digne de remarque, c’est que la navigation aérienne et la navigation sous-marine ont cela de commun, qu’elles tirent l’une et l’autre, une partie des moyens qu’elles emploient de la chimie, cette mine féconde de science dont les vrais principes ont été si longtemps méconnus, et qui maintenant fournit chaque jour aux arts et à l’agriculture les secours les plus heureux et les plus inespérés.
L’envie de tirer du fond de la mer les richesses et les curiosités qui lui sont propres, comme les coraux, les perles, les coquillages, les effets naufragés, a créé l’art ou plutôt l’exercice du plongeur.
Cet exercice est surtout pratiqué dans les Indes, aux Antilles et dans la mer Égée. Il y a des plongeurs qui vont jusqu’à douze brasses, et l’histoire dit que sous le règne d’Artaxercès Memnon, Scyllias Macédonien se rendit célèbre en faisant sous les eaux un trajet de 8 stades, pour porter aux Grecs la nouvelle du naufrage de leurs vaisseaux ; mais il est permis de douter de ce fait rapporté par Hérodote.

On prétend que ce qui incommode le plus les plongeurs qui peuvent descendre à 10 ou 12 brasses est le froid de l’eau.
Mais le danger le plus grand pour eux est celui de l’excessive compression qu’ils éprouvent, qui arrête la circulation de leur sang, le leur fait rendre par les yeux, et les ferait promptement périr s’ils ne se hâtaient de revenir à la surface.
Quant à la difficulté qu’ils ont de respirer, il y a longtemps, comme on le voit dans la première édition de l’Encyclopédie, qu’on a imaginé d’y suppléer par des tuyaux flexibles, communiquant de leur bouche à la surface du fluide, soit directement, soit avec l’intermédiaire des soufflets ; mais ces moyens ne sont efficaces qu’à de petites profondeurs.

Ces inconvénients majeurs ont fait imaginer la cloche du plongeur ; par ce moyen l’on peut demeurer sous l’eau plus ou moins de temps, suivant que la cloche est plus ou moins grande.
L’expérience apprend que si la cavité peut contenir un tonneau d’eau, un homme seul peut y rester une heure entière, à une profondeur de 5 ou 6 brasses, sans aucun danger.

M. Halley imagina un moyen pour renouveler l’air de la cloche, et perfectionna l’appareil de manière que cette cloche contenait 5 personnes, lesquelles pouvaient rester sans danger une heure et demie à dix brasses de profondeur ; ils pouvaient même sortir de dessous la cloche et s’en éloigner à l’aide de quelques tuyaux, qui les main tenaient en communication avec l’air contenu sous cette cloche.

Corneille Drebel, qui s’est rendu si fameux par ses inventions en optique, poussa l’art de naviguer sous les eaux beaucoup plus loin, il imagina, dit Boyle, un vaisseau propre à être conduit à rames sous l’eau, et le fit exécuter pour le roi Jacques. Il contenait 12 rameurs sans les passagers, et ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’ils avaient une liqueur qui suppléait à l’air frais, et qui avait été découverte par le gendre de Drebel.

Peut-être ces récits sont-ils exagérés ; mais la possibilité de demeurer sous l’eau plusieurs heures, d’y gouverner le vaisseau dans lequel on est enfermé et de s’y diriger, soit en haut, soit en bas, soit en avant, est certaine : l’ingénieux M. Fulton y était parvenu ; il en a fait l’expérience authentique à Paris, et en mer, sur les côtes de Normandie.

MM. Coëssin frères, l’ont faite au Havre beaucoup plus en grand, et par des moyens différents de ceux de M. Fulton.
C’est la machine qu’ils ont inventée pour cela, et qu’ils ont appelée nautile sous-marin, qui fut soumise par eux le 22 janvier 1810, au jugement de la classe, qui l’a renvoyée à l’examen de MM. Monge, Biot, Sané et moi.

Le nautile sous-marin de M. Coussin est une espèce de grand tonneau qui a la forme d’une ellipsoïde allongé.
C’est dans cet ellipsoïde que s’enferment les navigateurs.
Ce nautile avait 27 pieds de longueur et renfermait neuf personnes.
Pour le maintenir dans sa position, on le charge d’un lest.

Ce nautile est partagé en trois parties séparées l’une de l’autre par des doubles fonds.
La partie du milieu est seule occupée par les navigateurs ; celles de l’avant et de l’arrière se remplissent à volonté, d’air ou d’eau, par les manœuvres de ces mêmes navigateurs, suivant le poids qu’ils veulent donner au nautile, afin qu’il puisse flotter à la surface du fluide, ou s’y enfoncer, si l’on veut.

Pour imprimer au vaisseau un mouvement progressif on emploie deux rangs de rames à porte, que font mouvoir ceux qui sont dans l’intérieur.
Les rames passent au travers des flancs du nautile, mais les ouvertures sont masquées par des poches de cuir qui empêchent absolument l’eau d’y pénétrer ; et si l’une d’elles venait par hasard à crever, la rame est taillée de manière à faire elle-même aussitôt l’effet d’un tampon, en la tirant seulement à soi. Dans le nautile de M. Coëssin il n’y avait que quatre rameurs, et il faisait une demi-lieue par heure ; mais il est aisé de multiplier le nombre de ces rameurs.

Pour diriger la machine et la faire virer de bord, on emploie un gouvernail placé à la poupe, comme dans les vaisseaux ordinaires, et qui se manœuvre du dedans par une corde ; de plus, les navigateurs s’orientent à l’aide d’une boussole.

Pour monter ou descendre, ils emploient quatre ailes ou espèces de nageoires attachées deux à droite et deux à gauche du nautile, et qu’un homme seul fait mouvoir, par des tringles.
On les incline de l’avant à l’arrière ou de l’arrière a l’avant, suivant qu’on veut ou monter ou descendre, parce qu’alors la résistance de l’eau occasionnée par le mouvement progressif, agit sur ces plans inclinés conformément au but qu’on se propose.

Enfin on se procure du jour au moyen d’une ou plusieurs glaces très épaisses, mais comme l’obscurité devient très grande à une certaine profondeur, les auteurs proposent de recueillir ce qui reste de rayons par de fortes loupes, qui pourront an moins leur faire distinguer ce qui se trouve près d’eux.

Mais il reste à vaincre la plus grande difficulté, celle de se procurer les moyens de respirer. MM. Coëssin ont adopté pour cela l’idée reçue depuis longtemps, d’établir une communication de l’intérieur du vaisseau à la surface du fluide, au moyen de tuyaux flexibles, soutenus à la partie d’en haut par des flotteurs, et tenus constamment ouverts par des ressorts à boudin ; mais comme il faut une force considérable pour expulser par ces tuyaux l’air vicié du dedans, MM. Coëssin ont employé pour cela dans leurs expériences, le ventilateur de Halles.
Cependant ils ont reconnu que ce moyen devient insuffisant lorsqu’on descend à plus de sept mètres ; aussi proposent-ils, pour le perfectionnement de leur machine, la suppression entière des tuyaux, et d’y suppléer en pratiquant des ouvertures ou petites écoutilles dans les douves supérieures du vaisseau.
Par le moyen de ces ouvertures, en venant de temps en temps à la surface de l’eau, on renouvelle l’air du nautile, par une circulation qui s’établit alors facilement, soit par le ventilateur, soit lorsque cela sera praticable, par des lampes qui, placées à quel quelques-unes de ces ouvertures, et correspondant jusqu’au fond du vaisseau par des tuyaux qui font l’effet de petites cheminées, en extraient l’air vicié, comme les réchauds placés au haut de l’ouverture d’une mine font circuler rapidement l’air jusqu’à sa plus grande profondeur.

Au surplus, il faut remarquer qu’il n’est pas nécessaire que ce renouvellement d’air dans le nautile soit fréquent ; car dans les nombreuses expériences faites au Havre, les navigateurs sont restés plus d’une heure de suite sans aucune communication avec l’air extérieur et sans éprouver aucun malaise.
Mais c’est ici que la chimie vient efficacement au secours de la mécanique ; car à défaut de tous les autres moyens, les navigateurs pour voient au besoin impérieux de respirer par une ample provision d’oxygène comprimé, qu’ils tiennent en réserve et dont ils font usage avec l’économie que leur commande l’intérêt de leur propre conservation.

Tous les expédients que nous venons de mentionner et beaucoup d’autres moyens de détails dans lesquels nous ne pouvons entrer, composent par leur ensemble la machine de MM. Coëssin.
Ces moyens sont sans doute ceux qui s’offrent à l’esprit de toutes les personnes qui s’occupent du même objet ; mais dans ce genre il y a loin d’une conception vague à l’exécution.
De tout temps on a dû voir ces idées simples, et cependant toutes les tentatives faites jusqu’à ces derniers temps ont été infructueuses. MM. Coëssin répondent à tout en produisant le procès verbal qui constate le succès de leurs expériences.

Ces expériences ont été faites sous l’autorisation de S. Exc. le ministre de la marine et constatées par MM. Montagnès-la-Rogue, capitaine de vaisseau commandant le port du Havre, et Grehan, ingénieur-constructeur en chef de la marine.
Ces personnes éclairées non seulement rendent un témoignage avantageux au nautile de MM. Coëssin, mais ils annoncent qu’ils le regardent comme susceptible de plusieurs perfectionnements qu’ils indiquent, et ils pensent qu’on pourrait faire des vaisseaux de ce genre beaucoup plus grands.
Parmi les coopérateurs des expériences faites au Havre, sont M. Colin, actuellement préparateur de chimie à l’École polytechnique ; M. Muller, aide-de-camp du général d’Hastrel, et M. Ransonnet, commandant le brick l’Alcyon qui a été fait à la Nouvelle-Hollande, avec le capitaine Baudin et qui servait de pilote dans le nautile.

Ce nautile est différent de celui de M. Fulton, en ce que celui de M. Fulton était en cuivre et que celui-ci est en bois, ce qui le rend plus facile à construire, moins cher et susceptible d’une capacité aussi grande qu’on le veut.

Nous pensons qu’il faut distinguer de pareilles inventions, dans lesquelles l’expérience a prouvé que les plus grandes difficultés ont été prévues, de celles qui ne sont le plus souvent que des projets informes et dont l’épreuve pourrait être très périlleuse, il n’y a plus maintenant de doute qu’on puisse établir une navigation sous-marine très expéditivement et à peu de frais, et nous croyons que MM. Coëssin ont établi ce fait par des expériences certaines.

Signé Monge, Sané, Biot, Carnot. »


Voilà, j'espère que ce document vous aura intéressé.
Bonne journée et à plus tard.
Jacques.
À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).



Image
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.

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