9 septembre 1922 - « Grande Catastrophe » de Smyrne.
Si les puissances occidentales ont permis à la Grèce d’accéder à l’independance en 1830, elles l’ont aussi enfermée dans des frontières très étroites qui ont laissé une grande partie des Grecs dans l’Empire ottoman.
L’ambition d’une réunification, qui prendra le nom de « Grande Idée », structure toute la politique étrangère du pays pendant un siècle.
Lors de la Première Guerre mondiale, alors que l’Empire ottoman a choisi de se ranger aux côtés de l’empire allemand et de l’Autriche-Hongrie, surnommées les « puissances centrales », la Grèce choisit le camp adverse dans l’espoir de parvenir à ses fins.
La victoire des Alliés suscite des espoirs mais l’effondrement de l’Empire ottoman et la révolte menée par Mustafa Kemal vont donner un tournure toute différente aux événements.
Olivier Delorme
Incendie de Smyrne, 1922, Ovide Curtovitch, Athènes, musée Benaki
L’enfer en spectacle
Le 9 septembre 1922, avec le rembarquement des soldats grecs et l’entrée des kémalistes dans les faubourgs de Smyrne, cette grande cité de la côte orientale de la mer Égée cesse d’être grecque.
Les flammes et les massacres de Smyrne marquent bel et bien la fin de 2.700 ans d’hellénisme en Asie Mineure.
Les Grecs et les Arméniens qui ont fui devant l’avancée turque ou qui habitent la deuxième plus grande ville de l’empire ottoman, se terrent chez eux ou campent sur les quais, dans les églises, les entrepôts.
2Certains espèrent qu’ils pourront reprendre la vie d’avant, une fois passée la tempête, d’autres attendent qu’on vienne les sauver, ou au moins qu’on les protège.
Mgr Chrysostomos.
Mais si les Occidentaux, dont 21 navires marchands ou cuirassés sont ancrés dans la rade, ont débarqué quelques maigres troupes, celles-ci n’ont reçu pour instruction que de protéger leurs ressortissants, les consulats et les établissements qui en dépendent.
L’arme au pied, les soldats français assistent au martyre de Mgr Chrysostomos qui, arrêté par les autorités kémalistes, est livré à la foule turque.
Dénudé, promené sur un âne, battu, on lui crèvera les yeux et on lui coupera les oreilles avant de jeter son corps démembré aux chiens.
Puis, le 13 septembre, le quartier arménien s’embrase.
Les kémalistes accusent leurs victimes de l’incendie.
Mais outre qu’on ne voit pas la motivation d’un tel acte, les témoignages abondent – y compris ceux des Européens – sur le fait que les nouveaux maîtres de « Smyrne l’infidèle » (métropole symbolique du cosmopolitisme où les chrétiens sont largement majoritaires), militaires kémalistes et civils turcs mêlés, ont allumé de nombreux foyers après avoir apporté sur place des bidons de pétrole.
D’autres attestent que le matériel des pompiers a été saboté ou que les réservoirs de leurs pompes ont été remplis de pétrole.
Les quartiers grecs et arménien se consumeront sans que ces pompiers puissent intervenir, alors qu’ils défendront avec succès les quartiers musulmans et juif.
Mais l’incendie ne suffit pas : il donne le signal des pillages systématiques (y compris du quartier européen qui, lui aussi, a en partie brûlé), des viols de masse et du massacre qui dureront une semaine.
Les Grecs et Arméniens réfugiés dans des églises qui ont été incendiées sont empêchés d’en sortir par des kémalistes qui montent la garde.
Quant à ceux qui, titulaires de passeports occidentaux, sont en principe « protégés » par leurs consulats, ils n’échappent ni aux tortures, souvent publiques et inventives, ni à la mort.
Car les élites (religieux, journalistes, avocats…), comme lors du génocide arménien, sont les premières ciblées.
Enfants grecs et arméniens réfugiés à Athènes en 1923, Washington, Library of Congress.
Quant à ceux qui ont reflué vers les quais en espérant que les navires occidentaux les sauveraient, ils attendront en vain.
On dit qu’un commandant de vaisseau ordonna qu’on fasse jouer un gramophone aussi fort que possible pour masquer les cris.
D’autres témoins rapportent que des nageurs ayant réussi à s’agripper à une coque furent repoussés à coups de gaffe ou ébouillantés ; on parlera même de mains coupées.
Éperdus de peur, certains se sont entassés sur des barges qui finissent par chavirer, d’autres se noient en tentant d’atteindre un bateau.
Au final, le nombre de morts s’établit quelque part entre les 2.000 victimes de « dérapages » (reconnues par un négationnisme turc aussi constant et officiel qu’à propos du génocide arménien) et les estimations hautes qui dépassent les 100.000. Sans doute autour de 50.000.
Quel que soit leur nombre exact, ces morts signifient que Grecs et Arméniens n’ont plus de place dans la nouvelle Turquie : un exode à chaud commence, que complètera, l’année suivante, l’exode à froid de l’échange obligatoire entre chrétiens de Turquie et musulmans de Grèce, imposé par Kemal et entériné par les Occidentaux lors de la négociation du traité de Lausanne.
L'Asie mineure et la Turquie entre le traité de Sèvres (1920) et le traité de Lausanne (1923) ; carte de Paul Coulbois pour Herodote.net
La « Grande Idée »
Cette « Grande Catastrophe », selon l’appellation que lui donnent les Grecs, trouve son origine dans la conclusion bancale de la guerre d’indépendante contre le maître ottoman (1821-1830).
Les États qui se proclamaient ses protecteurs (Royaume-Uni, Russie, France) ont enfermé la Grèce dans des frontières non viables qui laissaient plus de Grecs sujets du sultan que de Grecs sujets des rois bavarois puis germano-danois imposés par ces mêmes puissances.
De sorte que toutes les énergies du pays furent dirigées vers la réunion, par l’insurrection ou la conquête, de tous les Grecs à la mère patrie.
Portrait officiel du roi Georges Ier, Geórgios Iakovídis, 1910, musée d'histoire nationale d'Athènes.
Avec les guerres balkaniques de 1912-1913, qui permirent l’intégration à la Grèce de la Crète, de l’Épire et de la Macédoine égéenne, la réalisation de cette Grande Idée sembla proche.
Et en voulant engager son pays dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Franco-Anglo-Russes, contre un Empire ottoman qui avait choisi l’autre camp, le Premier ministre Élefthérios Vénizélos négocia la promesse du rattachement de Chypre, que les Anglais semblaient disposés à céder, ainsi que de Smyrne et d’une partie de l’Asie Mineure, grecques depuis la haute Antiquité, tout en rêvant de la Thrace occidentale échue à la Bulgarie en 1912-1913, où les Grecs n’étaient pas majoritaires, et de la Thrace orientale où ils l’étaient jusqu’aux faubourgs de Constantinople – promise à la Russie.
C’est en référence à cette Grande Idée que le premier roi des Hellènes de la dynastie des Glücksburg, Georges, baptisa son fils aîné Constantin – comme Constantin XI, dernier empereur byzantin, enlevé par les anges, disait une des légendes liées à la chute de Constantinople en 1453, alors qu’il en défendait une des portes, et pétrifié jusqu’au jour où il reprendrait la tête des troupes qui libéreraient La Ville.
Si bien qu’après l’assassinat de son père dans une Thessalonique tout juste conquise, en mars 1913, Constantin I°, devenu roi des Hellènes, ne dédaigna pas qu’on le nomme Constantin XII.
Une semaine d'Histoire du 4 Septembre 2023 au 10 Septembre 2023 avec Herodote.net
09-09-1922 - « Grande Catastrophe » de Smyrne.
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09-09-1922 - « Grande Catastrophe » de Smyrne.
Message par jacknap1948 » Sam Sep 09, 2023 6:49 am
À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).
Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
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