05-05-1917 : 1° utilisation du char lourd

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jacknap1948
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05-05-1917 : 1° utilisation du char lourd.

Message par jacknap1948 » Ven Mai 05, 2023 7:19 am

Adj_Rohan a écrit :À Saint Chamond dans l'Aisne.
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Photo ECPA

Extrait de « Sous l’ Armure » de Pierre Lestringuez Edition / La renaissance du livre. 1919

(Pierre Lestringuez était au 5 mai 1917 Sous-Lieutenant commandant une des quatre batteries de l’ A.S. 1 soit 4 chars Schneider, il fut après la guerre un des scénaristes du cinéaste Jean Renoir.)

< - Quatre heures et demie, mon Lieutenant ! Du trou où je m’étais enfoui pour dormir, je me dégage péniblement avec des crampes aux genoux et aux reins ; me voici dehors, le jour se débarbouille à la fraîcheur de l’aube. Au-dessus de notre tête, harpes infernales ,les trajectoires d’obus tissent en sifflant le ciel. Il fera beau, on a confiance, on est gai, de cette alacrité légère des veilles de combat.
D’un œil familier je contemple mes monstres. Ils sont là, rangés en file indienne, au long d’ une butte de terre. Rhinocéros de fer, le gros œil de leur tourelle semble paterne, mais ils dressent au ciel la corne aiguë de leur avant-bec. Leur lisse carapace ocellée de taches vertes, jaunes et rouges, reluit dans la demi-clarté, et voici que, regard d’acier, les mitrailleuses longues et noires surgissent sournoisement par leur créneau hors des globes mobiles qui les supportent. Un coup d’œil à la montre.
Les moteurs en marche ! Glapissement crissant des cliquets qui s’agrippent, puis, soudain, un, deux, quatre vrombissements qui se superposent, s’amplifient, se confondent dans un furieux tintamarre de tôles frémissantes. Un instant on est étourdi, enveloppé dans cette vibration, et puis le tonnerre s’assagit, tombe au ronronnement cadencé du ralenti, prêt à se déchaîner à nouveau d’une poussée du doigt.

À vos postes ! Par les portes, par les écoutilles, les hommes ont jailli dans les flancs d’ acier. Escaladant la bête à mon tour, je grimpe et me glisse par le capot. Un signe, les têtes attentives des pilotes disparaissent. Dans un lourd dandinement, les chars d’assaut s’ébranlent en un lent cortège vers les lignes. C’est à ce moment que l’âme de joueur que porte en lui tout soldat s’éveille et frissonne, jeu hardi où le hasard est roi. Étant donné le rideau de feu d’un tir de barrage, passer à travers sans être directement touché par un obus. Il ne s’agit point ici de se faufiler comme le fantassin sous la pluie d’acier, en courant fort et en profitant des abris qu’ offre le sol. Non, il faut passer lentement, tout droit, en s’efforçant d’éviter la panne qui serait mortelle et en espérant qu’on ne subira pas le choc terrible. À la menue fente du guichet, on écarquille les yeux, pas trop nerveux, pas trop angoissé, un peu tout de même. Voici surgir du sol, devant nous, volcans instantanés, les noirs panaches des percutants. Des fantassins se défilent à travers les monstrueuses gerbes de terre, de flamme et de fumée. À droite, à gauche, les chars s’égaillent. Nous entrons. Le bruit du moteur que j’ accélère occupe seul ma pensée. Un trou d’obus à éviter. Il semble qu‘on n’avance point. Je m’hypnotise dans la contemplation de la première ligne française qui, lentement, approche. Soudain, une grande lueur, un souffle brûlant et formidable gifle l’appareil de terre et d’ éclats. Il semble que l’atmosphère du char s’est brutalement comprimée ; un instant on est ébloui, on suffoque, les oreilles bourdonnent. Cependant le moteur continue à ronfler, _ braves blindages,_ l’obus est tombé à deux mètres en avant de nous. Je tourne la tête : les hommes rient ! À ma droite et à ma gauche, les autres chars eux aussi continuent d’avancer. Voici franchie la redoutable zone. Avec un doux balancement de montagne russe, nous traversons un à un la tranchée française sur l‘emplacement de l’ancienne barricade, dont les sacs de terre éboulés nous font un facile passage.
C’est ici que commence le combat. Pour la première fois depuis le début de la guerre, il se présente à moi sous cet aspect. Fantassins, je n’ai jamais connu que le petit coin de tranchée qu’il faut pour défendre le nez à ras du sol ou l’objectif vers lequel on court, hypnotisé, avec aux oreilles le claquement de fouet des balles ennemies. Ici on domine vraiment la situation, on est calme ; une impression de sécurité et de force vous pénètre ; c’est la chasse avec un appareil compliqué et formidable, voilà tout. Une crainte qui ne vous quitte guère, celle de la panne. L’ angoisse de l’obus ! Mon dieu, elle vous abandonne dès que l’on a passé la zone du barrage et que la pluie d’acier ne se concentre pas sur vous. À cet égard nous avons, aujourd’hui, plus de chance que certains camarades qui se sont sentis traqués par l’impitoyable martèlement, entourés par le cercle de feu dont ils ne pouvaient sortir, mathématiquement précédés et suivis par des gerbes volcaniques dont le souffle les prenait à la gorge, les menaçait, les voulait, parfois, hélas ! les pulvériser dans l’infernale explosion de leur blindages et de leur mécanisme. Ici, rien de semblable, le terrain seul est traître : raviné, retourné, brûlé par le marmitage préparatoire, ce n’est pas un sol ferme, mais une espèce de cendre friable et meuble trouée d’entonnoirs jointifs qui s’effondrent sous nos chenilles. Ahanant et suant dans une atmosphère de chaufferie, il faut que le pilote agisse constamment de toute sa force sur les leviers de direction et ne quitte pas des yeux la piste zigzagante à travers laquelle il conduit son char. Cela brûle les yeux et brise les reins ; à chaque mouvement, je sens la sueur ruisseler en filets tièdes sur mon corps. Mais il faut voir, et ce que j’ai à faire et ce que font les autres, mon visage s’appuie aux fentes de visée. À ma droite, un char dégagé de la zone bouleversée me dépasse, atteint la route de Maubeuge et file tout joyeux en troisième vitesses vers son objectif. J’entends crépiter une de ses mitrailleuses. À ma gauche, deux chars se sont rapprochés l’un de l’autre. Bêtes monstrueuses qui semblent se concerter. L’un d’ eux, lourdement, évolue autour d’ un point que je ne distingue pas. Il recule, il avance, semblant chercher une position favorable. Son canon bouge, une lueur jaillit suivie d’ une immédiate explosion à bout portant. Coup sur coup, de l’autre char, deus lueurs semblables, et c’est comme un coup de talon sur une fourmilière : bras levés, poudreux, hagards, sans fusils ni équipements, de tous les trous des Boches surgissent ; trois obus ont crevé la taupinière cimentée d’où ils canardaient nos vagues d’assaut. Plus tard, j’apprendrai par les conducteurs des deux chars, les sous-lieutenants Brosser et Schamber, qu’ils ont trouvé plus de vingt cadavres dans ce fortin qu’ont effondré leur canons. Maintenant nous avons tous franchi la sinistre route de Maubeuge, voie assassinée entre deux rangées d’arbres morts, brisés, effilochés, brûlés par les éclatements d’obus. C’est ici la pouillerie de la guerre, le sordide bric-à-brac du champ de bataille, loques, ordures et sang. Des havresacs éventrés, des lambeaux d’uniformes, des armes et des outils à demi enterrés sous des sacs de terre crevés, des cadavres étroitement plaqués au sol, tout le côté lamentable et sordide de la guerre moderne. Nos chars frôlent tout cela, monstres indifférents, à leur aise, bien à leur place dans ce paysage de cataclysme. Le soleil fait luire les flancs plats aux angles nets de leur carapace ; seuls dans la plaine crevassée, ils semblent mener seuls le combat. Leurs rapides frères du ciel, les avions légers, peints de couleurs vives, tournent au-dessus d’eux et descendent jusqu’à 100 mètres du sol pour les regarder de plus près. Roulant, tanguant lourdement sur cette terre désertique qu’ils semblent seuls avoir conquise, invulnérables parmi les invisibles combattants dont on n’entend que la musique de mort, paisibles, les chars d’assaut se dirigent vers leur but, indifférents à tout, semble-t-il, et c’est à peine si leur mitrailleuse envoie de temps à autre quelques brèves rafales sur des ombres grises, qui, là-bas, au bord du ravin, détalent éperdument…


COMBAT DU 5 MAI AU MOULIN DE LAFFAUX.

Le groupement Lefebvre, composé des groupes A.S.1, A.S.10 Schneider et du groupe Saint-Chamond 31, après avoir été, le 17 avril, amené à pied d’œuvre pour prendre part à l’attaque de Moronvillers, fut ….. mis à disposition de la VI° armée pour participer à l’enlèvement des hauteurs du Moulin de Laffaux et pousser l’attaque en direction du ravin d’Allemant. Ce sera une opération forcément limitée, tout au moins pour les chars : il s’agit de nettoyer un point de la crête capricieusement dentelée à laquelle s’accrochent les Allemands au nord de Soissons et qui sera, durant toute l’année 1917 jusqu’au 23 octobre, le théâtre de durs combats. Le plateau de Laffaux forme une redoute importante de cette fortification naturelle. Les chars n’y peuvent manœuvrer que sur un espace d’un kilomètre de largeur environ. Il ne pouvait être question de les faire descendre vers Allemant, qui se trouve au fond d’un ravin au nord-est de Laffaux, non seulement à cause des pentes abruptes de ce ravin, mais encore en raison des abatis touffus dont ces pentes sont jonchées. Le groupement Lefebvre dispose d’une excellente infanterie d’accompagnement, le 17° Bataillon de chasseurs à pied, longuement entraîné à combattre avec les chars. En revanche, l’infanterie d’attaque ignore tout de la tactique de l’artillerie d’assaut, et le peu de temps dont on dispose ne permet point d’établir des liaisons suffisantes. Néanmoins, l’opération marche de façon assez satisfaisante, tout au moins dans la région Laffaux-Fruty. Deux batteries parviennent presque sans pertes à nettoyer le plateau en quelques heures. Les positions de départ ont été choisies à proximité de la première ligne française, en sorte que les chars sont chez l’ennemi avant que celui-ci ait pu revenir de sa surprise et permettre à son artillerie de situer l’avance française. En somme, cette petite opération contribue à rendre confiance en leurs appareils aux équipages des chars, en prouvant aux pessimistes qu’on pouvait monter dans un char, combattre et revenir, sans crier au miracle…
À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).



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Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.

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