La question posée, puis les réflexions de Bernard ouvrent différents axes de réflexions (attention, gros pavé brut de décoffrage à suivre, bon courage).
Pour rappel, l'essence même de la guerre, c'est qu'il n'est pas possible de tout maîtriser, contrôler dominer (voir le fameux SNAFU des américains). Tout plan préparé à l'avance va donc être confronté à des situations et évènements souvent non prévisibles qui vont apporter leurs lots de complications en cascade. Grain de sable et effet papillon sont les plaies des "plans parfaits".
Le bon stratège est donc celui qui arrive à réduire les contingences externes au minimum de manière à moins perdre le contrôle de la situation que son adversaire. D'où la fameuse phrase de Napoléon, lorsqu'on lui parlait des mérites d'un officier qu'il ne connaissait pas : "« Fort bien, mais a-t-il de la Chance ? » (merci Jeff d'avoir ouvert le bal avec cette citation). Il faut comprendre le mot "chance", par avoir une capacité (intuition/déduction/instinct etc.) à être au bon endroit au bon moment, à savoir séparer le superflus de l'essentiel afin prendre la bonne décision malgré une situation qui n'est plus sous contrôle. Ce talent qui fait dire aux autres ce type :
- a toujours le c* bordé de nouilles,
- est né sous une bonne étoile,
- est un génie,
ou tout simplement, mais comment fait-il ?
Pour le wargame c'est la même chose, beaucoup de bon joueurs sont ceux qui arrivent à réduire l'impact d'un ou plusieurs mauvais coup du sort en intégrant les échecs dans le plan (seconde ligne de troupes, bon timing…). Ensuite, la belle manœuvre c'est simplement la cerise sur le gâteau (la forme par opposition au fond).
L'aléatoire dans les mécanismes de jeu :
Pour représenter les trop nombreux facteurs imprévus impossibles à définir/simuler, le wargame utilise l'aléatoire pour s'en affranchir.
C'est donc un mécanisme de simulation fondamental à mettre au même niveau que l'échelle (représentation de l'espace/des troupes et de l'écoulement du temps) lors de la conception d'une règle.
Un exercice amusant pour se faire une idée consiste par exemple à jouer une grosse bataille avec arbitre en multi-joueurs (avec une chaîne de commandement définie). Pour corser, des joueurs répartis sur des tables dispersées (des morceaux du champs de bataille) au lieu d'une table unique jouable par tous… L'effet tunnel, la non remonté d'informations, les problèmes d'interprétation, le bon timing, tout peut dégénérer.
Malheureusement cela demande de la place, beaucoup de matériel et de joueurs motivés disponibles ce qui n'est pas chose aisée. De plus, dans ce cas on aborde "que" le problème de commandement et de l'application des ordres (effet hélicoptère).
Si l'aléatoire choque pour simuler le réel, autant jouer aux échecs/dames/ go (symétrie parfaite, peu de variables et tous connus) etc. qui eux sont parfaits pour développer son acuité cérébrale.
Quel type d'aléatoire et pour quoi faire ?
C'est surtout un choix de conception. Les jeux pour lesquels le ludique compte beaucoup utilisent souvent un mécanisme connu des concepteurs de règles, à savoir le dé pour toucher de l'attaquant puis le dé de sauvegarde du défenseur. Le résultat est donc lié aux deux jets et donne de suite une dramatisation du test par une opposition (tel un duel). C'est l'effet montagnes russes, si l'attaquant fait un bon résultat il va être content (la montée du plaisir), en face le défenseur va transpirer, il jette son dé (tadadaaaa, tout le monde est accroché au résultat)… et réussi ! Ouf, sauvé, il jubile, il a l'impression d'avoir réalisé lui-même un exploit et l'attaquant dépiter maudit la chance de son adversaire.
Le même situation avec un seul test réalisé l'attaquant ne donne pas la même dramaturgie (et le défenseur va avoir l'impression de ne pas avoir eu de possibilité de s'en sortir).
Plus problématique, si le dé ne sert qu'à donner un tout petit bonus/malus. Le joueur maîtrisant parfaitement la règle aura un avantage fatal sur son adversaire (même dans un choc frontal). Il saura anticiper le résultat et les conséquences d'une action et pourra ainsi dominer tout adversaire dont la connaissance du système est faible ou nulle. Cette situation génère souvent de la déception, de la frustration et de l'impuissance chez un novice au risque de le faire fuir ou pire, décortiquer la règle pour en trouver des failles (paradoxalement ludiques) pour mieux se défendre la partie suivante. L'esprit et l'ambiance du jeu risque alors d'en pâtir.
A ce propos un petit truc au passage pour ceux qui font jouer des novices lors des démos, donnez leurs des troupes de meilleure ou tout avantage plus discret (à
Longstreet par exemple, le sudiste a en 1861 de meilleures cartes dont un fameux rebell yell que n'a pas le nordiste).
Aléatoire et échelle ?
Souvent les jeux d'escarmouche sont très aléatoires (pour raison ludiques évidentes), pourtant il est bien plus facile pour un chef de commander et diriger 5 à 10 personnes qu'il connait parfaitement (qualité, talent, humeur, moral), qu'il voit, entend à l'instant T, le tout dans un espace restreint à portée de vue sur lequel il se déplace lui-même plutôt que de faire manœuvrer des troupes nombreuses, dans un espace qu'il ne voit que de très loin/partiellement via des officiers eux même en liaison avec d'autres officiers etc.
Le type de jeux pour lesquels on accepte une part plus ou moins importante d'aléatoire, voir les mécanismes d'un jeu (commandement, activation, mouvement, tir, combat, perte, moral etc…) sont donc plutôt personnels et souvent liés aux jeux pratiqués antérieurement. Ceux-ci balisent souvent notre perception de l'aléatoire. Et comme pour le temps, il à la température mesurée réelle… et la température ressentie !
Bref, bon jeu à tous et que le grand D10 soit avec vous (oui, le D10 est moins ludique que le D6 mais il permet de visualiser rapidement en % ses chances de réussite/échec, mais ceci est un autre débat
)