Pourquoi L'ancien Régime ça n'emballe pas?
En voilà une question qu'elle est bonne, et je vous remercie de l'avoir posée !
Pourquoi ?
Parce que les joueurs Français, globalement, "ne sont pas drôles", sont trop "sérieux" pour apprécier le 18ème siècle.
Caricaturalement, on peut distinguer 2 types extrêmes de joueurs :
- les "
simulationistes" fanatiques d'"historicité", de "véracité" -même s'ils sont souvent les plus ardents à vouloir "changer l'Histoire", en voyant par exemple "leurs" Français gagner à Waterloo (par patriotisme ? Pour démontrer qu'ils sont meilleurs tacticiens que Napoléon ?). Prêts à s'empoigner sur la couleur exacte de "capucine" ou "gris de fer bleuté", sur le modèle de plaque de shako du nième de Ligne en 1808, sur le fait de savoir si les boutons de braguette des Mamelouks portaient l'aigle de la Garde ou sur le temps mis par les différentes artilleries pour déployer une pièce de 6. Pris de hauts-le-coeur si un régiment Britannique en uniforme d'Espagne apparaît pendant les Cent Jours. Souvent "compétitifs" et habitués des championnats. Leur approche du jeu étant "sérieuse", leur choix d'armée obéit souvent (± consciemment) à des motivations patriotiques ou idéologiques...
- Les "
ludistes" au contraire assument joyeusement d'être des adultes jouant avec des petits soldats. Il apprécient le spectacle d'une table couverte de jolies figurines, un moment de convivialité détendue, un jeu sans "prise de tête" avec des règles simples (qui n'excluent pas les subtilités tactiques : quoi de plus simple que les règles des échecs ?), une atmosphère de liberté...
Le 18ème siècle n'a évidemment
pas de quoi intéresser les "simulationistes" :
- d'abord, la guerre au 18ème siècle n'est pas "sérieuse" : c'est la "guerre en dentelles" ("Tirez les premiers, Messeigneurs !" "Nous n'en ferons rien, après vous, je vous en prie.") si joliment caricaturée dans 'Oumpah-pah contre Foie-Malade (les boulets des 2 armées rayés différemment, comme à la pétanque, afin que chacun puisse aisément récupérer le siens pendant les trêves).
- Ensuite, à peu près tout ce dont en s'en souvient, c'est qu'"on", nous les Français, y avons pris la pâtée (malgré quelques brilliant sursauts) : pendant la Guerre de Succession d'Espagne (perte de l'Acadie) et celle de Sept Ans (perte du Canada et des Indes) : pas de quoi pavoiser, on préfère oublier. Bien sûr, entre les 2 il ya eu la Guerre de Succession d'Autriche, Maurice de Saxe, Fontenoy... MAIS, à l'échelle mondiale, la littéraure d'Histoire Militaire et le Jeu de Guerre sont largement dominés par les Anglo-Saxons -par les Anglais pour cette période, les Américains étaient alors Britanniques, Washington a fait ses premières armes contre les Français. Or, les Anglais ont été vainqueurs de la Guerre de Succession d'Espagne (avec Malbrough) et de la Guerre de Sept Ans (avec Frédérick, dont ils préfèrent se rappeler quand il était leur allié) ; par contre, ils ont perdu la Guerre de Succession d'Autriche. Conséquence, tant pour la documentation que les figurines, la Guerre de Succession d'Espagne est assez bien couverte, celle de Sept Ans l'est surabondamment - mais entre les 2 c'est pratiquement le vide (pour les figurines, quelques troupes légères Françaises en uniformes "exotiques" et les Ecossais de Culloden). Pas de quoi exciter l'intérêt d'un "simulationiste".
Le 18ème siècle est par contre
l'une des périodes favorites des "ludistes":
- pour ceux qui évitent de prendre le jeu trop au sérieux, trop "au pied de la lettre" parce que l'association des mots "jeu" et "guerre" leur laisse comme un goût bizarre, la "guerre en dentelles" telle du moins que nous la rêvons (surtout "jouée" en Europe occidentale continentale-en Ecosse, sur les fronts Turcs et au Canada, c'est autre chose) est l'époque par excellence de "la guerre sans haine", sans les motivations patriotiques, idéologiques ou religieuses sources de fanatisme et donc d'atrocités. Une guerre un peu ridicule avec ses officiers poudrés et perruqués faisant assaut de courtoisie, mais où les adversaires échanges compliments et petits plats, où l'on tente d'épargner les civils (sauf pendant les sièges), où l'on apprécie de pouvoir estimer, honorer l'adversaire. La guerre est "le jeu des rois", pratiqués sur le terrain par des équipes professionnelles : comme au foot et au rugby, on pratique un jeu "viril" mais en cultivant un esprit de "fair play"; d'ailleurs, les transferts sont parfaitement admis...
- Les uniformes sont affaire de goût personnel, mais on peut aisément avancer que, entre les uniformes très amples (et d'ailleurs moins polychromes que plus tard) de la Guerre de Succession d'Espagne qui donnaient aux fantassins une allure pataude (on a pu écrire que les grenadiers de Malbrough avaient l'air d'être en bonnet de nuit et robe de chambre) et les uniformes de plus en plus étriqués de la fin du 18ème siècle, la période de la "guerre en dentelles" voit le sommet de l'élégance militaire 'Horse & Musket'.
- La période est celle des ordres de bataille et des règles simples. Les troupes légères sont généralement absentes des batailles rangées, l'artillerie à cheval est à venir; les troupes sont professionnelles, tous les régiments ont leurs bons et leurs mauvais jours mais il n'est pas caricaturalde négliger les différences de "statut". Charles Grant a pu brillamment "rejouer" Mollwitz et Fontenoy avec seulement 3 types de troupes: infanterie, cavalerie, artillerie. Des formations -colonne d'assaut, écran de tirailleurs, carré contre la cavalerie...- sans êtres inconnues ne sont que très rarement utilisées : c'est colonne pour l'approche, ligne pour la bataille. Mais, avec des pièces et des règles aussi simples qu'aux dames ou au go on peut avoir des tactiques très élaborées, des parties riches en rebondissements.
La "guerre en dentelles" est d'ailleurs (avec l'Antique-Médiéval "imaginaire" style campagne Hyborienne) l'une des 2 périodes les plus propices au jeu avec des pays imaginaires ("
Imagi-Nations"). Leur utilisation pour le 18ème siècle a été pronée dès la fin des années 60 dans des bouquins maintenant "classiques", 'Charge! Or how to play wargames' de P. Young puis 'The War Game' de C. Grant, et est une facette reconnue du hobby dans cette période. Justification ? Elle tire profit de l'existence "historique" de > 300 états "indépendants" dans l'Empire, beaucoup très mal connus du joueur "moyen", dont des dizaines de Hesse-machin et de Saxe-truc ; chacun avec ses uniformes (même si beaucoup ne possédaient quun peit bataillon mixte !), ses drapeaux. Avec des pays imaginaires, on fait abstraction des contraintes historiques, quant au contexte politique et aux alliances par exemple ; la taille, l'échelle de la carte, de la campagne, des armées... peuvent être parfaitement ajustées aux possibilités, goûts et voeux du joueur ; et l'on s'épargne tout risque de polémique à propos des "carcatéristiques nationales" (toujours bénéfiques pour votre armée et négatives pour l'adversaire). Par ailleurs, créer votre pays et son armée, inventer sa géographie, son histoire, ses personnages imprtants, ses drapeux, ses uniformes... peut être passionnant en soi.
La "guerre en dentelles" est spécialement propice aux "Imagi-Nations" de divers points de vue : le précédent historique (l'Empire était aussi chaotique aux siècles précédents, mais avant la généralisation des uniformes créer sa propre armée est bien moins excitant ; et après Iéna la situation est bien plus simple) : seules les républiques bananières d'Amérique du Sud (Nuevo Rico, San Theodoros, Palombie..) et les mosaïques contemporaines de mini-états (les républiques subsahariennes du jeu 'AK47', mais aussi potentiellement tous les mini-états au nom en '..istan' du Caucase post-URSS) sont aussi favorables.
Un autre facteur (essentiel pour le jeu) est que -en ne pinaillant pas trop- les uniformes étaient de couleurs différentes, mais en gros de même coupe : c'était tricorne et justaucorps pour tout le monde, et guêtres pour l'infanterie. Les figurines de jeu 'historiques' sont donc quasi-"génériques" et peuvent être peintes à vos couleurs sans choquer : alors que la nationalité d'un fantassin Napoléonien est immédiatement définie par sa coiffure, pot de fleurs, poêle à frire ou tuyau de poêle.
Par ailleurs à peu de chose près les armées régulières d'Europe occidentale étaient comme des images-miroir colorées différemment : il est donc facile d'avoir un ordre de bataille quasi-"standard" parfaitement "crédible" et "réaliste" (en gros 3 fantassins pour 1 cavalier, 1 "batterie" d'artillerie pour 2 bataillons d'infanterie ; très peu de troupes légères, mais potentiellment très "exotiques" et colorées).
'Emperor vs Elector' (nommé d'après les protagonistes de 'Charge!') est un blog collectif destinés aux échanges -extrêmement conviviaux et stimulants- entre créateurs d'armées imaginaires 18ème siècle
http://emperor-elector.blogspot.com/. Le blog vient d'atteindre les 80 'contributeurs', la plupart avec leur blog propre (mais ce n'est pas obligatoire !). Une bonne partie ayant crée les 2 adversaires de leur campagne, c'est plus de 120 pays imaginaires qui sont représentés dans cette 'Société des Imagi-Nations de la Guerre en Dentelle'. La diversité des approches des différents membre est absolument incroyable. Il existe par ailleurs des groupes locaux semi-indépendants, spécialement le groupe Australien jouant dans le continent imaginaire de Pangaea
http://passageoflines.50.forumer.com/viewforum.php?f=22 .
Tout en en restant généralement distinct, le jeu 18ème siècle -spécialement avec Imagi-Nations- peut "tangenter" d'autres types:
- aventures individuelles
http://lazywargamer.blogspot.com/search/label/Gloire
- pirates style 'Legends of the High Seas'
http://lotow-loths.blogspot.com/search/ ... igh%20Seas
- fantastique (c'était le Siècle des Lumières, mais tout le monde ou presque était encore prêt à croire aux sorcières, aux vampires et aux loups-garous)
http://husarenritt.blogspot.com/search/ ... Year%20War
- science-fiction ("Lacepunk") (Munchausen rencontre les archives de Leonard de Vinci)
http://3.bp.blogspot.com/_Dilwnimo0MI/R ... eason.JPEG
Au fait, c'est mon premier message ici : heureux de vous avoir rejoints !
Jean-Louis