
Merci de m’accorder donc cette bienveillance, étant rappelé que je n’ai jamais prétendu être un expert en matière de formation mais que je cherche au contraire à trouver des réponses aux questions, sans doute naïves, que je me pose.
Sur le fait que les légers soient normalement sur la gauche du bataillon déjà au début de 18ème siècle, je ne le conteste nullement. Ce que je cherche à comprendre, c’est pourquoi ce décret de 1805 nous parle de troisième compagnie en comptant les grenadiers, et pourquoi c’est le second peloton et non le 8ème qui est dissous.
Pour la place des grenadiers, ma source est la BNF, les archives de la révolution française, édition de Paris de 1792.
Je cite :
« Dans le premier 'bataillon, les compagnies de fusiliers seront placées de la droite à la gauche, dans l'ordre suivant : 1re, 9e, 3e, 11e, 5e, 13e, 7e, 15e
Dans le second bataillon, les compagnies de fusiliers seront également placées de la droite à la gauche, dans l'ordre suivant : 2e, 10e, 4e, 12e, 6e, 14e, 8e, 16e
Lorsque les deux bataillons d'un régiment se trouveront séparés, cet ordre aura lieu par bataillon ; et à leur réunion, il sera rétabli sur la totalité du régiment.
Les deux compagnies de grenadiers seront dénommées première et seconde, d'après le rang d'ancienneté des capitaines qui les commandent ; la première sera placée à la droite du premier bataillon, et la seconde à la gauche du second bataillon. »
Pour être très clair, nous parlons ici d’un régiment formé en bataille (donc en ligne), les deux bataillons manoeuvrant séparément.
Cet ordonnancement est déjà celui décrit par Mesnil-Durand dans Fragments de tactique. Je cite :
« Dans le régiment de deux bataillons, les grenadiers seront au flanc droit du premier, au gauche du second » (édition de 1774, 1er volume page 17).
La question qui se pose est bien entendu de savoir si cet ordonnancement est théorique, ou pour la place Vendôme, ou appliqué sur les champs de bataille. Pour répondre à cette question, il ne suffit bien entendu pas de se référer à nos pratiques sur les tables, ce raisonnement n’est pas satisfaisant, nous en convenons tous. Il nous faut appliquer le principe du doute méthodique et donc se fonder sur des bases les plus solides possibles. Et là je dois dire que je ne suis pas en accord avec toi. Pour moi, il y a une différence fondamentale entre les grenadiers du 18ème jusqu’au début de l’empire, et les grenadiers de 1808.
Initialement, les grenadiers et les chasseurs sont les électrons libres du bataillon, les chasseurs étant l’aiguille destinée à titiller l’adversaire, et les grenadiers étant la rustine destinée à protéger et surveiller les compagnies du centre (l’image est un peu malheureuse, mais bon). Ainsi, les compagnies du centre n’ont pas besoin de ces deux compagnies pour manœuvrer, et quand Mesnil-Durand, dans son traité qui se veut pratique, et non théorique, décrit le rôle des grenadiers, on constate que ceux-ci, pendant un changement de formation par exemple, vont couvrir les compagnies du centre par leur feu. Ils ne sont pas partie prenante au changement de formation, mais là pour faire en sorte que cela se passe bien, à l’instar des chasseurs même si ce n’est pas de la même manière bien entendu. Cette liberté de la compagnie de grenadier, on la retrouve dans le règlement de 1791. Ce n’est bien sur pas par hasard si la majorité des planches présentes dans ce règlement ne représentent que les compagnies du centre. Là encore, la compagnie de grenadier fonctionne en électron libre (je caricature mais c’est l’idée) avec comme objectif la protection des compagnies du centre. Ainsi, dans la colonne d’attaque, la compagnie de grenadier peut au choix se placer à l’avant ou à l’arrière de la colonne en fonction de la situation et du moral des troupes. Aucune autre compagnie n’a cette liberté, étant mis à part les chasseurs. Dans cette idée d’électron libre, il est évident que si la droite de mon dispositif est déjà couverte par une autre ligne, par exemple, je vais amener mes grenadiers sur ma gauche pour couvrir mon flanc gauche, c’est l’évidence. Cette compagnie sera plus efficace pour éventuellement se placer en potence en cas d’attaque de flanc. On retrouve cette liberté dans le rôle alloué aux grenadiers dans le cadre d’un carré. Ils pourront couvrir les deux flancs de la première et dernière division (trad. de division : deux compagnies), et bien entendu, ne vont pas rester simplement sur la droite du carré au motif qu’ils sont des grenadiers.
Alors que s’est-il passé entre cette liberté et la rigueur du régime de 1808 ?
A partir du moment où les grenadiers ont été détachés de leurs bataillons (ce qui date d’avant Oudinot), ils se sont inscrit dans le dispositif du bataillon en devenant de facto des compagnies du centre ! Ils perdent cette indépendance et s’intègrent nécessairement dans la structure du bataillon. Ce faisant, leur rôle se modifie.
La liberté (relative bien entendu) structurelle des compagnies de grenadiers non détachées a du à mon avis perdurer. Mais pour les autres, il en est bien différemment.
C’est ainsi que l’on arrive finalement au régime de 1808, où la compagnie de grenadier est inscrite structurellement dans le bataillon et où bien entendu elle ne risque plus de se positionner en fonction des événements. Elle est pleinement intégrée à tout changement de formation et se trouve alors définitivement placée sur la droite du bataillon. De rustine, la compagnie de grenadier devient le socle du bataillon, avec aussi une augmentation de son effectif par rapport à l’effectif total du bataillon. Mais les choses se sont faites au prix d’une grande évolution dans la perception du rôle de la compagnie de grenadier. C’est en tout cas mon avis.