Et tout d'abord, pour vous mettre dans l'ambiance...

Libération, de notre envoyé spécial Jocelin Arnaud
Du QG du général Roquejoffre, Siegen, Allemagne de l'Ouest, le 5 avril 1987
Le général Roquejoffre

Aujourd'hui, la 1ère Division Blindée, arrivée la veille sur le front, a effectué sa première opération de combat. Départ à l'aube, notre mision : reprendre la petite ville de Siegen, au Nord Est DE Francfort, et menacer le flanc de la percée soviétique vers le Rhin. Un pâle soleil printanier peine à réchauffer la campagne allemande. Le général Roquejoffre, qui commande la 1ère Division Blindée, est confiant : l'OTAN jouit de la supériorité aérienne dans le secteur, et les renseignements laissent à penser que la brigade est-allemande qui tient la ville ne s'attend pas à être attaquée. Il prévoit de feinter vers le Sud, pour prendre de flanc la défense.On verra bien.
Très vite, contact est pris avec l'ennemi : un rapport de la 2ème section de notre compagnie d'éclairage, montée sur des AMX 10 RC (pour Roue/Canon), nous avertit que des chars T72 occupent le Steinberg, un peu à l'ouest de Siegen, et les allument au 125 de 1500m. Le capitaine Stefanelli, qui commande la compagnie de chars AMX 30 sur le nord de la poussée principale, suit le combat à la radio : très vite, le silence revient sur les ondes, "c'est fini" me dit Stefanelli "ils ont été détruits". Et malgré ses efforts, le malheureux peloton de 10RC, au blindage si mince, a été pulvérisé par les redoutables canions de 125mm des T72. Des 12 hommes qui les montaient, aucun n'a survécu. Tel est le visage de la guerre moderne.
Un AMX 30 monte vers le front

Stefanelli semble abattu par l'événement : le lieutenant Pirasse, qui commandait les 10 RC, était un camarade de promotion, et la présence de T72 sur son axe de progression semble le tétaniser. Les AMX 30 retournent en arrière, ce qui lui vaut un savon du général Roquejoffre, qui lui enjoin de se remettre en route. Ce qu'il ne tarde pas à faire, mais un rapport erroné signalant de l'infanterie mécanisée ennemie au débouché d'Altkirch - nous apprendrons plus tard qu'il s'agit des AMX 10P (des véhicules blindés chenillés servant à transporter des fantassins, et armés d'un canon de 20mm) de l'escadron Forant- le pousse à se replier de nouveau, à l'immense fureur du général.
Un général qui ne reste pas inactif de son côté : le canon tonne sur notre droite : nous pouvons distinguer au sommet de la côte 104 les 2 compagnies d'AMX 30 de Roquejoffre qu tirent au canon de 105mm sur des objectifs situés à l'est. La radio s'anime, les X30 ont fait un carton : aux commentaires excités des équipages on comprend qu'une compagnie de T72, ceux qui ont détruit la deuxième section d'éclairage, a subi au moins 75% de pertes sur le Steinberg, et que ses derniers chars se replient. La voie est libre, en avant! L'escadron Stefanelli bondit sur la route d'Altkirch.
Au débouché de la ville, nous tombons sur les fantassins des escadrons Forant et Kerhével, dont les transports blindés embouteillent la route : possibilité d'embuscade à la ferme Bauer, au débouché des bois. Kerhével et Forant s'engueulent copieusement, chacun accusant l'autre d'être responsable du bordel.Stefanelli ne s'attarde pas, il donne l'ordre de déboîter par la gauche, et nous longeons à toute vitesse la lisière nord des bois. La ferme Bauer est en vue, prudence! Des champs de mines ont été repérés. Par dessus les cimes de bois, nous distinguons les AMX 30 du général Roquejoffre qui viennent couronner le sommet du Bauerberg... et c'est le drame! Des chars explosent, la confusion s'installe dans les rangs français. Stefanelli fait encore forcer l'allure, nous laissons sur notre droite la ferme Bauer, et nous glissons dans une brêche du champ de mines. Stefanelli est entrain de m'expliquer que les Alemands de l'Est n'ont pas encore le temps de camoufler plus efficacement leurs pièges qu'une violente explosion retentit : la tourelle de "Bouvines", le char qui fonce devant nous, s'élève dans les airs sur une colonne de feu. Nous ne reverrons jamais l'adjudant Lebel, le "rigolo" de l'escadron, dont les blagues potaches faisaient rire qui n'en était pas la victime... D'autres chars autour de nous sont touchés, s'immobilisent et brûlent. Les survivants hébétés s'extraient des carcasses fumantes, certains se roulent à terre pour éteindre les flammes qui les consument. Pas le temps de s'apitoyer sur son sort ni même d'avoir peur : Stefanelli fait virer ce qui reste de son escadron à gauche, sur la côte 105, nous distinguons les silhouettes ramassées de chars ennemis, la lueur des départs de coups de 125 mm. Le vacarme autour de nous est assourdissant : tous les chars de l'Escadron Stefanelli ont ouvert le feu sur l'ennemi, les coups portent : là haut, sur la 105, un T72 vient de s'embraser. Les AMX 30 semblent prendre l'ascendant, mais l'avantage est encore fragile : les T72 semblent se regrouper pour manoeuvrer quand une grêle de coups s'abat sur eux : ce sont les chars de Roquejoffre qui sont descendus du Bauerberg et ont contourné, à travers les champs de mines, la ferme Bauer. Les obus pleuvent, les T72 explosent, ils n'en peuvent plus : ils tentent de se replier derrière la crête, mais les tankistes français n'en ont pas eu assez. Le feu semble redoubler, les blindés ennemis chancellent sous les coups, pas un d'eux n'atteindra l'abri de la contrepente : l'escadron de T72 ennemis est anéanti. Des presque 30 hommes qui montaient les monstres d'aciers, seuls 6 sont le soir aux mains des Français, presque tous blessés : tous les autres ont péri brûlés dans leur char.
Le massacre paraît assommer la résistance ennemie : la force Jauzée (2 pelotons de X30 et de fantassins portés sur AMX 10P) fait sa jonction avec nous à l'est du Bauerberg et contourne le Steinberg par le sud. Les chars de Roquejoffre gravissent le Steinberg, au milieu des carcasses fumantes des T72, et engagent le combat avec les derniers chars ennemis tapis à la lisière de Siegen. Nous arrêtos notre escadron à l'ouest du Steinberg, immédiatement derrière ceux du Général Roquejoffre, en attendant que les fantassins des escadrons Forant et Kerhével - qui ont finalement découvert que la ferme Bauer était en fairvide d'ennemis - viennent nous rejoindre. Le combat continue avec des fortunes diverses : les derniers T72 sont anéantis à l'orée de Siegen, une section d'AMX 10 P de la force Jauzée, qui s'était trop avancée, est détruite par des tirs de RPG 7 venus de la ville. Un feu d'enfer se déclenche, nous apprendrons plus tard que les chars de Jauzée, et ses transports de troupes survivants, ont couvert l'assaut de ses 2 sections d'infanterie qui ont éliminé les Allemands de l'Est téméraires. La route semble libre, la force Jauzée contourne Siegen par le Sud, pour prendre sous son feu les sortie est de la ville. Une compagnie de chars de la force Roquejoffre s'introduit dans la ville, pour interdire à l'ennemi l'usage de la route qui la traverse. Des fantassins ennemis lancent des assauts désespérés qui sont aisément repoussés par les mitrailleuses des chars. Il est 11 heures du matin, 2 heures après le début de l'attaque : des groupes de soldats ennemis commencent à émerger des maisons en levant les bras, la résistance est-allemande s'effondre. Siegen est prise.